• Aotearoa - le long nuage blanc

    Six mois en Océanie, 3 mois en Nouvelle-Zélande et l'impression d'être en permanence à la croisée des chemins.

    Quand nous sommes partis il y a six mois, notre dossier de demande de résidence était programmé pour être étudié en janvier. En février, si tout se passait bien, je pouvais obtenir un visa de recherche de travail valable 9 mois.

    Trouver un travail début décembre depuis l’Australie pouvait accélérer le traitement de notre dossier. Sauf que notre demande de résidence n’a pas cessé d’être décalée. Aujourd’hui seules les demandes de résidence de ceux qui sont en Nouvelle-Zélande et qui ont un travail sont examinées. Elles sont traitées par ordre chronologique et ce sont actuellement celles de décembre 2018. Notre demande date d’avril 2019…

    Aotearoa

     

    Il n’est pas illégal de chercher du travail sans visa en Nouvelle-Zélande. Mais pour embaucher un étranger, une entreprise reconnue par l’immigration doit démontrer la recherche active d’un salarié néozélandais. De plus, il faut être prêt à payer cet étranger au moins 70 000 $ par an. Sans compétence pointue, c’est compliqué d’être l’étranger.

    Il y a des exceptions : les métiers en flux tendus répertoriés sur des listes régionales ou nationales, en court ou en long termes. Primary teacher et Early Childhood Teacher sont sur ces listes. Mais pour prétendre postuler, il faut être « registered », enregistré, avoir un diplôme reconnu comme équivalent par l’autorité Néo-Zélandaise appropriée (NZQA). Des agents d’immigration français nous ont assurés que c’était impossible à obtenir du fait de la disparité des formations et l’absence de ponts entre les différents systèmes. De plus, il faut démontrer un niveau d’anglais élevé reconnu par une autre autorité, IDP.

    Emilie a pu progressivement cocher toutes les cases et obtenir à la fois le sésame, mais aussi trouver l’entreprise, décrocher un entretien et obtenir une embauche. Ça n’a pas été sans embuche !

    Alors évidemment, les études, dont on a déjà parlé était une solution séduisante, bien qu’extrêmement coûteuse. Pour recevoir une offre de place dans une université, il faut pouvoir constituer un dossier, écrire des lettres de motivation, passer parfois des entretiens. Le pré-requis pour un master est le « bachelor’s degree », équivalent licence en France, dans la matière dans laquelle on postule avec un niveau B, soit des notes entre 12 et 14. Surtout, il faut pouvoir produire des bulletins de notes – qui pour moi, datent d’au moins 20 ans ! Et il importe parfois peu que vous ayez un niveau au-dessus, j’ai un bac + 5 (soit 2 ans de plus que le bachelor’s degree) avec un niveau A et on n’arrêtait pas de me redemander de produire des bulletins de notes pour mon bachelor (qui est plutôt d’un niveau C – juste la moyenne :-).

    Chacun de nous a fait au moins six demandes et nous avons eu des offres à Wellington, Auckland, Napier… Nous nous sommes imaginés vivre dans chacune de ces villes, cherchant à chaque fois dans quels quartiers il faudrait nous installer, regardant les meilleures écoles, les transports en commun à proximité, etc.

    Beaucoup de recherches, de découvertes, de tâtonnements. Les trois dernières semaines ont été particulièrement difficiles car nous arrivions au moment où il fallait absolument faire un choix et où toutes nos propositions n’étaient plus comparables.
    Bien évidemment, tout le monde veut faire un choix éclairé, mais il est parfois impossible de se décider.
    Lorsque nous étions à Sydney il y a sept ans, je suis tombé sur un livre qui a complètement changé mon point de vue sur ces questions. « The paradox of choice » est basé sur les travaux du prix Nobel d’économie, Daniel Kahneman. Lui-même a écrit un livre, Thinking fast and slow, que j’ai lu plus récemment et que je recommande à tous. Ce livre montre que nos choix ne sont jamais raisonnables. Nous les percevons comme tels mais un petit changement dans l’énoncé d’une question et notre réponse devient totalement différente.

    Dans notre playlist en ce moment, il y a cette reprise de Rachid Taha, Ya Rayah, « toi celui qui pars » ou « toi l’émigré », une chanson douce amer, un peu plus gaie que Les murs de poussières » de Cabrel qui traite du même sujet.

     


    Ce que je retiens de tout cet épisode, c’est comment nos choix et notre perception sur ceux-ci ont changé au fur et à mesure que nous avancions.

    Avancer, il en a été aussi beaucoup question ces dernières semaines. Comme beaucoup, nous étions en confinement. Le fameux « lockdown » (nous sommes depuis hier au niveau 1, il n’y a pas eu de nouveaux malades depuis 17 jours, et la dernière personne malade est guérie depuis plus de 48h).

    Pascal dit que « tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos, dans une chambre ». La course à pied est une alternative intéressante puisqu’elle permet de demeurer en mouvement dans une chambre grande comme la terre et enfermé dans sa propre tête et ses pensées.

    Les mathématiques sont implacables. En courant 6 km par jour, on fait un marathon par semaine. A Himatangi Beach, j’ai ainsi couru 440 kilomètres sur la plage et pieds-nus, avec une moyenne de 50 km par semaine pendant les deux mois de confinement. C’est très loin de l’exploit réalisé par l’américain Michael Wardian qui a couvert cette distance d’affilée en 63 heures autour de son pâté de maison pendant le Quarantine Backyard Ultra.

    Dans Cité de verre, Paul Auster suit les pérégrinations de Quinn et Stillman dans New York. Il découvre ainsi que leur parcours dans la ville dessine des lettres qui forment des mots et des phrases (« Tower of Babel »). C’est sans doute l’apanage des grands écrivains que de deviner le fond de la nature humaine et d’anticiper l’avenir (Kafka, Orwell…): C'est ainsi que la fiction rejoint la réalité et que j'ai découvert, amusé, le Strava drawing (article en anglais) qui consiste à courir, marcher, pédaler (you name it…) pour former des figures éphémères ou des messages dans le paysage.

    Avec moins de succès, j’ai tenté ma chance…

    Aotearoa

    Aotearoa

     

    Comme beaucoup pendant cette période nous avons cuisiné (et pris l’apéritif). Dans « La pensée sauvage », Claude Levi-Strauss a cette phrase qu’il faut « mâchonner » en cuisinant : « Il ne suffit pas qu'un aliment soit bon à manger, encore faut-il qu'il soit bon à penser ». 

    Comme en France, la farine était difficile à trouver dans les supermarchés Néozélandais.  Quand il y en avait, elle était rationnée. Impossible cependant de trouver de la « Yeast », de la levure. On a vu ainsi fleurir les recettes de Sourdough (levain).

    Le pain est sans doute l’aliment que l’on retrouve dans toutes les civilisations. Même les aborigènes font du pain. Il doit ainsi être autre chose qu’un aliment à manger : des graines fermentées et cuites. Le fait que les gens, isolés et pour beaucoup angoissés, se mettent à cuire des pains, des tartes ou des tourtes n’est sans doute pas anecdotique.

    Aussi faut-il ne pas être surpris d’apprendre que certains s’en inspirent pour faire des vaccins contre le coronavirus.

     

     

    Après tout « penser » et « panser », ont la même racine latine et signifient la même chose.

    Aotearoa

    Aotearoa

     

    Après plusieurs essais, j’ai finalement réussi à faire quelques baguettes.

    Aotearoa

     

    L’air pollué et asphyxiant à Perth, les feux de forêt, la chaleur incessante. La sécheresse à Auckland. Particulièrement en Océanie, la fragilité des conditions nécessaires à la vie est transparente. Ça ne l’empêche pas d’échapper à certains, voire d’être niée. Ces terres ont été « découvertes » très tard par les Occidentaux et les ravages de la mécanisation, de l’industrialisation et de l’agriculture, ont déformé tardivement ces paysages. Cela ne veut pas dire que ces lieux étaient intouchés. Les Maoris ont presque totalement anéanti les Mariori, un autre peuple du Pacifique qui fut le premier habitant de ces terres. Il reste quelques familles encore aujourd’hui. Les moa, des oiseaux plus grands que les Autruches ou les aigles de Haast, assez grand pour attaquer un homme adulte (et le transporter dans les airs !) ont été éteints par l’homme au XVe siècle.

    Aotearoa est le nom maori qui désignait à l‘origine l’île du Nord et qui est devenu l’un des deux noms officiels de la Nouvelle-Zélande. Ce nom servait probablement aux navigateurs Maori pour retrouver la route et signifie « le long nuage blanc ».

    Aotearoa

     

    Avant que l’homme n’arrive sur cette terre, elle était, raconte-on, entièrement recouverte de fougère d’argent (le symbole que l’on retrouve sur le drapeau de l’équipe de rugby). Cette fougère, la punga, est encore abondante dans les bushes néozélandais.

    Très proches, l’Australie et la Nouvelle-Zélande sont pourtant très éloignées au niveau culturel. Les seuls points communs résident dans la pratique commune de la langue anglaise (les accents sont très différents), la conduite à gauche et l’opposition entre les équipes sportives, partagée à égale mesure des deux côtés.
     

    Malgré les différences sociales qui perdurent entre Pakeha (non-maori) et Maori (qui signifie « gens »), la culture Maori a profondément façonné la Nouvelle-Zélande. 

    Aotearoa


    Le Koru est un bon exemple. Il s’agit d’un symbole complexe, une spirale, qui reprend la forme de la fougère d’argent au moment où un nouveau rameau se forme. Souvent le Koru est taillé dans la jade, le Pounamu, une pierre volcanique verte. Le Koru symbolise la renaissance, le nouveau cycle, un nouveau départ. On le retrouve partout ici et il nous parle davantage que d’autres.

    Aotearoa

    Aotearoa

     

    Lorsqu’Emilie a reçu son contrat de travail, elle comme moi n’avons pas réussi à réaliser. Nous étions à la fois incrédules et sur nos gardes. Encore aujourd’hui, on pense que des choses peuvent capoter, rater et nous empêcher d’avancer. Emilie a trouvé une image qui résume bien cet état d’esprit. « On a l’impression d’avoir décroché la lune mais finalement, on a simplement choisi notre montagne ; il reste maintenant à la gravir. »

    Lorsque Claude Levi-Strauss présenta ses premiers travaux sur les règles de parenté, il fut remarqué par deux grands anthropologues : Robert Lowie (qui a travaillé sur les Indiens d’Amérique du Nord et démontré dans son livre Primitive societies que ces organisations sociales ne l’étaient pas) et Curt Nimuendajú qui a travaillé sur les indiens d’Amérique du Sud.

    Si je cite ce dernier, c’est qu’il s’agissait d’un autrichien parti vivre dans les forêts brésiliennes, un immigré lui aussi. Nimuendajú est le nom que les indiens lui donnèrent et qui signifie en Apapocuva (un dialecte Guarani), « celui qui a trouvé son lieu ».

    Et c’est ce que finalement nous cherchons tous, ici ou là-bas.


  • Commentaires

    1
    Catherine
    Mardi 9 Juin 2020 à 10:13
    Beau résumé ! C'est un plaisir de te lire David. Cette fois c'est parti pour votre nouvelle vie (et rien ne va capoter, si changement il y a ce sera pour du mieux) bisous
    2
    Françoise M
    Mardi 9 Juin 2020 à 23:58
    Françoise M

    Un grand résumé de cette nouvelle vie en Nouvelle Zélande qui se précise de jour en jour .... Merci David de nous faire partager toutes tes recherches et connaissances....

    quel chemin parcouru  en 6 mois !! 

    Bravo Emilie pour le Sesame !! 
     
    je vous souhaite le meilleur pour la suite . 

    Bisous à vous 5 

     

    3
    Duval
    Mercredi 10 Juin 2020 à 00:17
    un plaisir de lecture que j ai relus 2 fois...une histoire merveilleuse et surtout une nouvelle porte qui s ouvre. en harmonie avec vous bisous à vous 5
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