• Reserva Natural Absoluta Cabo Blanco

    Située à 2 km du village, cette réserve naturelle ne fait pas partie du top 10 des destinations costaricaines - loin s'en faut. Pourtant, c'est là que tout a commencé.

     

    Au bout du chemin de terre qui traverse la bourgade de Cabuya se trouve la réserve naturelle Cabo Blanco. Cabo blanco veut dire "caillou blanc". C'est ainsi que les conquistadors espagnols ont nommé l'île, à cause des fientes d'oiseaux qui la recouvrent.

    Si le Costa Rica a aujourd’hui la réputation d’être une destination « verte », un « paradis » écologique et le pionnier de l’écotourisme, c’est parce que tout s’est joué ici, il y a 50 ans exactement.

    Exploitation forestière, pâturage, agriculture intensive… En un siècle, le pays avait perdu 80 % de son couvert forestier. A partir de 1960 et de la création de ce parc, l’histoire s’est inversée : 52 % du territoire a pu être reboisé.

    Tout cela ne s'est pas fait sans mal. 

    Histoire de la Reserva Natural Absoluta Cabo Blanco

    A l'extrémité sud de la péninsule de Nicoya, l'ïle Cabo Blanco a donné son nom au parc. 

    Nils Olof Wessberg, qui est à l’origine de la création de ce parc, a eu un parcours hors-du-commun. Sur les plaques, dans les plans, les biographies, on le trouve sous plusieurs prénoms, tantôt Oleg, tantôt Olaf ou même Olle.

    Ici, il était connu sous le prénom de Nicolas. Suédois, il est né en Allemagne en 1919. En 1940, sa famille immigre en Suède où son père devient garde-forestier. En 1947, sa mère meurt d’une tumeur cérébrale. En 1951, la même maladie emporte sa sœur Hilde. Pendant la maladie de sa mère, il suppose un lien entre le régime alimentaire, l’environnement et la maladie. Avec ces deux décès, la recherche d'un autre mode de vie devient sa principale occupation. Il quitte l'armée où il a atteint le grade de lieutnant. Il devient végétarien.

    A une époque où la préoccupation environnementale n’existe pas et même les mots pour en parler n’ont pas encore été découverts, il dévore des livres sur l’écologie, la nature, les régimes alternatifs autour de principes simples : l’homme doit se nourrir uniquement de ce que la nature lui offre.

    En 1952, lors d’une visite dans un gîte norvégien où la spécialité est la nourriture crue, il rencontre Karen Mogensen, une norvégienne. Ils se marient et s’installent à Spelebyvägen (en Suède). Karen tombe enceinte mais à la suite d’un accident de vélo perd l’enfant et les chances d’en avoir d'autre.

    Tous les deux sont passionnés par la faune et la flore. Tous les deux sont sensibles aux autres cultures et veulent voyager. Au printemps 1954, ils embraquent sur un bananier en partance pour l’Amérique du Sud. Ils voyagent entre le Mexique et l’Equateur à la recherche d’un paradis où ils pourraient s’installer et vivre selon des principes simples. Une nuit, Karen aurait rêvé d'une péninsule au Costa Rica où elle pouvait voir l’océan pacifique depuis sa maison. Ils partent pour ce pays à la recherche de cet endroit. On dit qu'alors qu’ils longaient la côte de la péninsule de Nicoya, Karen aurait reconnu  les arbres en fleurs de son rêve. Ils s’installent sur la plage, dans une hutte faite de branches de palmiers. Le premier voisin est à 2 km. Ils achètent une parcelle de terre, plantent une quinzaine d’espèces d’arbres fruitiers et en attendant qu’ils parviennent à maturité, se nourrissent des fruits sur place. En observant les singes, ils tentent de se nourrir de la même chose qu’eux. Ils tombent malades, souffrent des moustiques et de malnutrition, font même appel au père de Nicolas pour qu’il leur envoie des médicaments et des vitamines. Ils finissent par acheter une ferme et des terres à proximité de la plage de Montezuma.

    Alors qu’il est parti en exploration à la pointe de la péninsule pour trouver des nouvelles plantes pour sa ferme, Nicolas voit les ravages de la déforestation et décide d’agir. Il faut se souvenir qu’on est au début des années 1960, que ce coin du Costa Rica est encore plus perdu qu’aujourd’hui, qu’il n’y a presque pas d’automobile et de transports publics. Malgré cela, à 23 reprises, il se rend à San José, la capitale, pour essayer de convaincre le gouvernement d’agir pour préserver le site et créer une zone naturelle. On imagine le parcours, long et compliqué. 5 heures aujourd’hui, plusieurs jours à cette époque. On imagine aussi les discussions houleuses. A la sortie de la seconde guerre mondiale, les Etats-Unis donnent la priorité à la croissance à tout prix. La demande est énorme pour ses voisins d’Amérique centrale et du Sud. Ford a même tenté d’installer une usine en pleine forêt vierge. Alors évidement, un type, un étranger, qui vient demander qu'on arrête le progrès pour quelques arbres et des singes...

    Pourtant, ça fonctionne. En lançant une souscription internationale avec des relais en Angleterre et aux Etats-Unis, Nicolas Wessberg parvient à réunir des fonds pour acheter la terre. Mis au pied du mur, le gouvernement autorise par un décret du 21 octobre 1963, la création de la réserve Cabo Blanco.

    Après les ravages de la déforestation, il est temps que la nature reprenne ses droits. La réserve, la première du Costa Rica, devient une réserve absolue. Aucun homme n’a le droit de pénétrer sur les 12 km² de terre et les 17 km² d’océan qui la composent.

    En 1985, le parc a été ouvert au public, 4 jours par semaine, sur des horaires réduits.

    Histoire de la Reserva Natural Absoluta Cabo Blanco

    L'entrée du parc

    L’histoire de Nicolas et Karen ne s’arrête pas là. En 1975, Nicolas est toujours en lutte pour l'environnement. Il tente de mobiliser pour l’ouverture d’un autre parc sur la péninsule d'Osa, au sud de la côté pacifique. L’opposition est encore plus virulente, sans doute parce qu'il y a eu un précédent.

    Avant de partir il promet à Karen d’être de retour pour son anniversaire. 15 jours se passent et il ne revient pas à la date promise. Karen prend un avion pour le rejoindre. Après avoir discuté avec des habitants, elle apprend que Nicolas n’a pas été vu depuis plusieurs jours. On lui indique l’endroit où il campait. Elle s'y rend et découvre ses restes : des os blanchis et un couteau entre les omoplates. Le meurtrier, un fermier local, est vite arrêté. Il est condamné à 10 ans de prison. Il est tué lors de sa détention par un codétenu.

    La mort de Nicolas aboutit à la création du deuxième parc national costaricain, le Corcovado. Dans un discours enflammé à la télévision, le président s'adresse au pays et force les derniers réticents. Karen, retourne à Montézuma. Elle y tient des cabinas jusqu’à son décès en 1994 suite à un cancer. Tous deux sont enterrés sur leurs terres qui sont devenues des réserves « absolues » (non-visitables celles-ci) et qui porte le nom de Nicolas.

    Dans le parc de Cabo Blanco, une plaque rappelle l'origine du parc. Le parc dispose d'un chemin et de deux parcours qui forme une boucle, on peut emprunter à l'aller le parcours norvégien en mémoire de Karen et revenir par le parcours suédois en mémoire de Nicolas.

    Histoire de la Reserva Natural Absoluta Cabo Blanco

    Je n'aurai pas donné un kopeck à une souscription pour sauver un bout de terre au fin fond du Costa Rica. Pourtant cette action a permis de lancer une dynamique qui a complètement modifié le pays. D'un territoire agricole, commercialisant du café, des bananes, des ananas et de la viande pour hamburger, elle a fait une destination tourristique pour les amateurs de nature - ce qui a aussi modifié l'économie.

    Nous sommes à une époque où le "Think different" est une marque déposée par une multinationale, où le geste le plus transgressif qui nous est permis est d'acheter un téléphone samsung plutôt qu'un apple, où l'on nous promet qu'on sera créatif juste parce qu'on va dans un supermarché remplir un caddie (marque déposée également). L'histoire de Nicolas Wessberg, perdu dans sa petite jungle, sans électricité ni eau courante, allant à San José dans une charette à boeuf pour réclamer au "pharaon" de laisser les terres abandonnées, juste parce que c'est bien pour la nature et que ça ne rapporte rien ; cette histoire, donc, à notre époque, mérite d'être connue.

    David

    Histoire de la Reserva Natural Absoluta Cabo Blanco

    J'ai trouvé des infos sur cette histoire dans nos deux guides de voyages (Lonely Planet et Petit Futé), sur le site nicoyapeninsula.com (en anglais) et sur le recto-verso A4 qui sert aussi de plan et est distribué à l'entrée du parc.

      

    Quelques photos de la visite :

    Reserva Natural Absoluta Cabo BlancoReserva Natural Absoluta Cabo Blanco

    La réserve a la particularité de présenter les plantes de deux habitats rarement réunis sur un si petit territoire : une forêt tropicale humide (ci-dessus) et une forêt tropicale sèche (ci-dessous). 85 % de la surface est occupée par une forêt dîte secondaire, c'est-à-dire issue du reboisement naturel intervenu depuis 50 ans. La forêt primaire, c'est-à-dire originale, qui n'a jamais été exploitée, n'est visible que sur les sommets et les arrêtes des colines. A peu près 150 espèces d'arbres sont visibles, caractéristiques de ces deux milieux. Les plus gros culminent à 60 mètres et font 3 mètres de circonférence ! La hauteur moyenne dans la partie humide est autour de 20 mètres...

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    Depuis le poste des gardes forestiers, le seul chemin empruntable est sur la partie ouest de la réserve. Il mène à une plage (photos ci-dessous). On peut emprunter le sendero Danès (à droite) ou le sendero Sueco à gauche, c'est le sentier danois en mémoire de Karen ou suédois en mémoire de Nicolas. Comme ils se rejoignent, la boucle suffit aux randonneurs les moins aguéris. Elle prend une heure. La totalité du chemin qui mène à la plage prend deux heures à un bon marcheur (4 h aller-retour).

    Reserva Natural Absoluta Cabo BlancoReserva Natural Absoluta Cabo Blanco

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Les pentes sont très raides. une grande partie est ombragée. La fin du parcours s'effectue sur une longue descente périlleuse. On est noyé sous un soleil écrasant. On entend pendant une demi-heure les rouleaux de la plage qu'on découvre, abandonnée.

    Reserva Natural Absoluta Cabo BlancoReserva Natural Absoluta Cabo Blanco

    Le trajet est aussi l'occasion de découvrir de nombreux animaux dans leur milieu naturel. Il faut pour cela être discret et avoir l'oeil, car ils se fondent parfaitement dans la végétation et savent se faire oublier. J'ai ainsi pu voir les éternels singes-hurleurs, des capucins à tête blanche (photo de gauche), des coatis (photo de droite), des petits tatous et, plus surprenant sous les tropiques, de nombreux cerfs de Virginie (qui sont plutôt farouches et plus rapides que mon appareil-photo). Il y a également d'inombrables oiseaux dont j'ignore le nom.


  • Commentaires

    1
    Frudy'M
    Samedi 13 Avril 2013 à 00:22

    Le destin de Karen et Nicolas est digne d'un film !!  Une belle visite ou tu as dû te regaler.  Le coatis ressemble à une tête de chien-loup ?

    C'est un vrai plaisir de vous suivre...

    2
    deaaj Profil de deaaj
    Samedi 13 Avril 2013 à 15:39

    C'est ce que je me disais aussi. Il paraît qu'il y a eu un film norvégien ou suédois retraçant leur vie

    david

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